L'Actualité du Rock Progressif.
Les 10 albums Highlands de l'année 2000:
1 - SHAKARY : ALYA
CLEPSYDRA est mort, vive SHAKARY ! Curieuse introduction pour une chronique d'album, mais résumant on ne peut plus crûment une actualité brûlante. J'avais eu l'impression d'assister au show d'un groupe désillusionné l'an passé à Vigevano, en assistant à la prestation terne d'un CLEPSYDRA en pleine décomposition Depuis, le bassiste fondateur ANDY THOMMEN a quitté le navire en perdition et le naufrage n'a guère tardé du moins en dehors de tout communiqué officiel selon toute apparence. L'actualité, c'est ce somptueux double CD de SHAKARY, la toute nouvelle formation de LELE HOFMANN (premier guitariste de CLEPSYDRA), avec au chant le génial ALUISIO MAGGINI (chanteur de CLEPSYDRA). Vous découvrirez le détail de l'affiche en parcourant chaque étape de cet ambitieux et conceptuel album. Pour le décor musical de l'album, il s'agit de CLEPSYDRA en plus ambitieux : au premier plan, naturellement le son si bourré de feeling de la guitare, reconnaissable entre mille de LELE HOFMANN : cri déchirant, au vibrato caractéristique (remember HOLOGRAM), cultivant volontiers les sonorités suraiguës, illuminant l'ensemble des compositions de nombres de soli gorgés de feeling. Pas vraiment compliquée, la musique de SHAKARY se décline en nombre de compositions séduisantes, qui n'hésitent pas à flirter avec des sonorités expérimentales (les claviers surtout), mais qui baignent pour l'essentiel presque toujours dans un lyrisme confondant (le violon enchanté de CARLO CANTINI dans "Starless Nights" par exemple). Jamais à l'avant-scène, les claviers offrent cependant un renfort non négligeable (orgue et Mini-Moog sont à l'honneur). On peut, de près ou de loin affilier cet album à du néo-progressif, mais attention : un néoprogressif de luxe, gorgé de feeling et d'émotion, doté de compositions de luxe, servies par de luxueux instrumentistes. La force de la musique de SHAKARY, c'est d'être furieusement dans l'air du temps, il faut comprendre le temps d'un progressif contemporain aux couleurs éclatantes. Il s'agit de la face lumineuse et accessible d'un progressif, immédiatement assimilable, mais qui ô magie ne lasse pas l'auditeur au bout de nombreuses écoutes. Il est totalement évident que cet album va faire un "carton" au sein du "microcosme". Le talent éclatant de compositeur de LELE HOFFMAN mériterait amplement mieux, tandis que le timbre de voix magique d'ALUISIO MAGGINI semble ici à son apogée. Sans aucun doute, l'une des meilleures réalisations du moment. (Didier GONZALEZ) |
2 - TRANSATLANTIC : SMPTE
Au
sein de leur groupe respectif, ils sont déjà les artistes
les plus prolifiques du mouvement progressif contemporain. Le guitariste
sort un double album par an, le claviériste chanteur a le temps
de mener à la fois une carrière solo et de composer tout
le matériel de son groupe. Le batteur est sans doute le musicien
qui a participé ces 4 dernières années au plus grand
nombre de side-projects. Quant au bassiste, cela fait 18 ans qu'il tient
le haut du pavé avec sa bande de bouffons, à raison de 11
albums studio, 3 live, une pléthore de maxi et raretés de
toute sorte. Avec leur propre formation, ces quatre musiciens nous ont
fait vibrer, espérer quant au renouveau du rock progressif
Bien que très attendu (comment pourrait-il en être autrement),
ce méga album qui célèbre la collaboration de ces
4 monstres sacrés de la scène actuelle du rock progressif
saura combler les attentes, mêmes celles des plus exigeants. Seulement
5 compositions, mais quels morceaux ! Performance d'autant plus remarquable
que STOLT, MORSE, PORTNOY et TREWAVAS en dépit de leur emploi du
temps chargé n'ont mis que 6 mois pour échanger leurs idées,
composer l'album et l'enregistrer (en s'échangeant des DAT par
courrier
) Tout d'abord, sachez que la musique de TRANSATLANTIC se
révèle pensée, de bout en bout, mûrie, développée,
travaillée, arrangée. Cette musique-là se savoure,
elle s'apprivoise, s'écoute et se comprend comme il y a 25 ans,
lorsqu'on se repassait inlassablement CLOSE TO THE EDGE ou SELLING ENGLAND
des journées entières
|
3 - GLASSHAMMER : CHRONOMETREE
Avec
CHRONOMETREE, leur quatrième album studio (cinquième en
comptant le live),le groupe américain, affiche une forme créative
ascensionnelle qui devrait leur assurer la reconnaissance d'un public
plus large. En effet, GLASSHAMMER, avant tout la formation de deux instrumentistes
(mais quels instrumentistes !) FRED SCHENDEL (Hammond organ, Mellotron,
Mini-Moog, synths, claviers, acoustic, electric & slide guitar (lead
and rhythm), autoharp, drums & backing vocals et STEVE BABB (bass,
claviers, Mellotron, assorted analogic synths, backing vocals) impulse
une accélération fulgurante à son parcours musical,
rivalisant dès lors avec les formations les plus en vues du moment.
Concept-album, CHRONOMETREE l'est assurément, présentant
en réalité une seule et même composition : "All
in Good Time", divisée en deux parties, chacune subdivisée
en plusieurs tableaux (6 séquences musicales pour la première,
3 pour la seconde). L'album démarre avec une séquence instrumentale
fulgurante, dont l'inspiration évoque un croisement entre la meilleure
musique d'EMERSON, LAKE & PALMER et GREENSLADE à son apogée
: une introduction en forme de déluge de notes d'orgue Hammond,
avec un FRED SCHENDEL absolument virtuose, voire éblouissant (On
n'est pas si loin que cela de l'inspiration de "Tarkus"). Une
composition à vocation universelle, qui fait mouche à tous
les coups, pouvant rallier tous les publics : sonorités brillantes,
virtuosité, brio, allant et excellence mélodique. Une mise
en bouche parfaite. "An Eldritch Wind" vient à point
nommé insuffler un parfum plus acoustique, avec une introduction
à la guitare, un tempo lent, un enrobage de synthétiseurs
analogiques des plus seyants. Ouch ! Le rêve. On s'attendait à
du bon après ON TO EVERMORE, mais à ce niveau, non. Avec
"Revelation", retour au brio de "Empty Space/Revealer",
avec un rythme de cavalcade tels que les affectionne ELP dans un grand
jour. Ici se situe une autre intelligence de cet album : alternance de
temps forts et de temps faibles, les règles de base de l'écriture
classique sont ici utilisées avec une science des sons à
en faire pâlir beaucoup et avec une inspiration au sommet. |
4 - AFTER CRYING : STRUGGLE FOR LIFE
AFTER CRYING
fait partie de ces formations rares et précieuses qui font qu'à
chacune de leurs apparitions, à chaque annonce de nouvel album,
à la rédaction de Highlands on retient son souffle. Et,
Dieu sait si ce premier double-album intégralement live de l'histoire
du groupe était attendu ! Depuis ses remarquables prestations à
Corbigny '98 (je ne reviendrai pas sur les circonstances de l'événement,
tout ayant déjà été dit) et de Vigevano '99
(dans des conditions optimum) auxquelles j'ai eu l'honneur d'assister,
j'attendais avec une secrète impatience le moment d'entrer à
nouveau en communion avec la formation musicale aujourd'hui la plus ambitieuse,
au monde. Ce constat n'étant pas fait ici à la légère,
ou à la va-vite, afin de meubler une chronique d'actualité.
Non, la production musicale du groupe parle pour lui, et ma première
rencontre discographique avec AFTER CRYING, comme beaucoup de lecteurs
français date de 1995, avec la découverte d'OVERGROUND MUSIC
qui me fit d'emblée la très grosse impression : un ELP hongrois
possédant une immense culture classique, aux possibilités
d'explorations instrumentales quasi infinies, variant les combinaisons
à loisir (violoncelle, violon, piano, moog, orgue, flûte,
hautbois, guitare électrique, acoustique, basse etc.) et de surcroît
possédant une classe naturelle insolente, un talent notablement
hors du commun. Les albums se sont depuis succédés, à
une cadence quasi annuelle et, en dépit de la déchirure
due au départ du charismatique CSABA VEDRES après l'enregistrement
de FOLD ES EGG, AFTER CRYING, loin de s'en trouver affaibli a renforcé
son potentiel créatif en puisant dans son noyau vital PEJTSIK/WINKLER/FERENC
; la réussite tangible de DE PROFUNDIS (1996) témoigne d'une
transition plus que brillamment négociée. Enfin, la récente
apothéose de " 6 " confère désormais une
aura au groupe qu'aucune autre formation ne peut sérieusement lui
contester aujourd'hui sur un plan strictement musical. |
5 - WHITE WILLOW : SACRAMENT
Pour ceux
d'entre vous qui auraient manqué les épisodes précédents,
SACRAMENT est le troisième album de WHITE WILLOW, formation norvégienne
interprétant une musique d'obédience progressive folk, nappée
de Mellotron, parfois traversée d'éclairs de guitare fulgurants
L'histoire de WHITE WILLOW est déjà riche en turbulences et
mouvements de personnel, à l'image de sa musique dont la tonalité
d'ensemble suggère la mélancolie, et distille pour l'essentiel
une beauté grave. Ce troisième album, fraîchement paru
(Août 2000) révèle, davantage encore la main mise désormais
totale du guitariste JACOB HOLM-LUPO sur le groupe, aujourd'hui seul membre
original demeurant de la formation initiale, après le départ
du claviériste JAN TARIG RAHMAN. Seule rescapée de la formation
précédente, la chanteuse SYLVIA ERISCHEN aura finalement trouvé
grâce aux yeux de HOLM-LUPO pour assurer la continuité entre
EX TENEBRIS et le présent album. Un tel nettoyage par le vide aurait
pu faire craindre le pire au niveau de la pérennité du son
WHITE WILLOW, mais c'est le contraire qui se produit : la formation norvégienne
réussit la jolie performance de proposer ici son meilleur album,
avec une inspiration en droite ligne de ses prédécesseurs.
En effet, au-delà de la maturité de l'écriture musicale,
les contrastes sont désormais plus marqués entre les passages
les plus pastoraux, les moments les plus bucoliques (la flûte de KETIL
VESTRUM EINARSEN, la guitare acoustique de JACOB HOLM-LUPO) et les moments
d'embrasement (tout relatif s'entend, mais quelle puissance dans ces breaks
impulsés par la guitare électrique, la basse et la batterie,
une puissance toujours teintée de distinction). HOLM-LUPO est prompt
à délivrer quelque superbe solo, gorgé de feeling,
un peu la marque de fabrique du groupe, tandis que le Mellotron suggère
quelques teintes automnales du meilleur goût. Parmi les compositions
les plus langoureuses ("Gnostalgia"), quel régal de savourer
ces moments de pure osmose entre flûte, guitare acoustique et envolées
vocales de la merveilleuse SYLVIA ERISCHEN
Ne vous y trompez pas :
une savante alternance de tempo, de fortissimo et de pianissimo, un subtil
dosage entre atmosphères brumeuses et brusques éruptions de
fièvre (la guitare électrique) offre toute latitude à
l'auditeur pour maintenir, voire captiver son attention. |
6 - RPWL : GOD HAS FAILED
Le nouveau groupe de KARL-HEINZ WALLNER (voir interview dans notre précédent numéro), au titre énigmatique de RPWL (en fait initiales des membres du groupe) a choisi, c'est une évidence d'interpréter une musique susceptible de séduire une large audience. Evidemment, le parcours musical du guitariste depuis VIOLET DISTRICT peut apparaître étonnant, car la musique de son ancien groupe empruntait sinon des chemins radicalement différents, en tout cas une optique sensiblement différente, à la fois plus dynamique et novatrice, ce qui, lorsque on lui ajoute la maturité des compositions lui conférait une saveur relativement unique. Avec RPWL, on a affaire à une toute autre démarche, et on doit avant tout se souvenir que le groupe allemand était à l'origine un pur groupe de reprises du PINK FLOYD. Il ne faudra donc pas chercher plus loin, ici l'influence majeure du groupe de WALLNER et de YOGI LANG (chanteur et claviériste). A l'actif du groupe (il est bien temps d'en parler !) sa capacité à composer des mélodies à la fois émouvantes et élaborées, profondes et envoûtantes. Oui, WALLNER se prend pour GILMOUR, mais que nous importe lorsque l'instrumentiste possède maîtrise et talent, tandis que la musique offre d'emblée une étonnante maturité. Peu de premiers albums sont capables d'émerger à un tel niveau (c'était aussi le cas de VIOLET DISTRICT, il n'y a pas de hasard ). Mais ici, tout est d'emblée maîtrisé au plus haut niveau (je pense, en particulier à une production en tout point époustouflante qui fait, sans difficulté la pige aux ténors du genre). Un chanteur à la voix relativement frêle/voilée, mais cependant toujours en place, et parfaitement adaptée au registre musical qu'a choisi le groupe (le chant est mixé au beau milieu de l'instrumentation, et bien que clair et parfaitement audible, il ne se révèle jamais prédominant). Le velouté, la rondeur du son ample de la basse de CHRIS POSTL ajoute au sentiment de plénitude qui se dégage de la musique de RPWL, tandis que le travail aux guitares de KARL-HEINZ , tant en arpèges acoustiques ("Crazy lane") qu'en rythmique, ou lors de ses envolées électriques solo (le plus souvent, dans une tradition gilmourienne grand teint) se révèle bien évidemment la clé de voûte de l'édifice musical.Le premier moment de surprise passé (n'attendez pas VIOLET DISTRICT), la musique de RPWL séduit progressivement, et révèle, indubitablement de nouvelles richesses mélodiques et instrumentales lors de chaque nouvelle audition. Les claviers de YOGI LANG, qui ne se contentent pas d'accompagner, et d'habiller (magnifiquement) la musique offrent également une gamme de sonorités aux couleurs parfaitement mirifiques et chatoyantes. On pourrait, outre le FLOYD comparer aussi le groupe au meilleur BARCLAY JAMES HARVEST, le plus inspiré, même si cette influence apparaît moins flagrante que celle du PINK FLOYD. Cette album pose cependant, dorénavant un problème à ses illustres devanciers : sauront-ils faire preuve d'autant de fraîcheur et d'inspiration que RPWL dans cet album, sur un plan purement mélodique ? Cet album, qui comprend un somptueux livret de 20 pages pour couronner le tout est grand, je vous aurai prévenu. Acquisition impérative. (Didier GONZALEZ) |
7 - KANSAS : SOMEWHERE TO ELSEWHERE
Nous avons été bien inspiré de vous proposer un historique complet de la carrière de KANSAS (en 5 parties !!), mais nous étions à des années-lumière de penser que le mythique groupe américain des seventies opèrerait un retour si fracassant en cet an 2000. En effet, depuis 20 ans, la formation se contentait de cultiver le passé en annonçant sa renaissance à chaque disque. Oh, ils n'ont pas été nombreux: tout juste 5 albums studio... et seulement 13 nouvelles chansons durant les années 90: un record ! Bien sûr, il y a eu le retour du violoniste légendaire, ROBBIE STEINHARDT en 1997 et l'enregistrement de l'album symphonique (ALWAYS NEVER THE SAME) l'année suivante (excellent... mais composé d'anciens morceaux...), mais on ne pouvait s'empêcher de penser que KANSAS était incapable de renouveler son répertoire, voué à écumer les galas de bienfaisance. En fait, toutes ces années il manquait un rouage, et non des moindres, à la machine KANSAS: KERRY LIVGREN ou l'ange blond (maintenant gros et chauve... eh oui, on vieillit...), claviériste/guitariste, compositeur des plus belles pages de l'age d'or ! Sans KANSAS, LIVGREN n'est rien... mais sans LIVGREN, KANSAS n'est pas grand chose, tout juste un nom. "KANSAS is a band" disait la pochette du 1er album en 1974... Et de nouveau l'alchimie opère sur SOMEWHERE TO ELSEWHERE qui nous replonge dans les grandes années du groupe, entre 1974 et 1977 (rien que ça...). Ils sont tous là: LIVGREN bien entendu, mais également DAVE HOPE le bassiste originel, qui avait quitté le monde musical pour devenir évangéliste (sur la photo, il est méconnaissable, comme rajeuni), mais qui apporte son crédit à l'album. Cependant, BILLY GREER, bassiste depuis 1986 (lui, par contre, a singulièrement grossi) se trouve conforté dans son poste, d'autant qu'il chante (et de façon excellente !) une superbe chanson: nous y reviendrons. LIVGREN ne se contente pas de réintégrer KANSAS après 17 ans d'absence, il signe également tous les morceaux (ce qui n'est pas pour nous déplaire), a enregistré (dans son studio personnel), mixé et produit l'album. Son père aviateur militaire figure en photo sur la pochette, ses neveux assurent les churs et une partie des bénéfices sera reversé aux vétérans de la 2de guerre mondiale... Enfin, KERRY a repris le contrôle: les autres le réclamaient à corps et à cris, ils l'ont maintenant !! Et WALSH dans tout cela ? Et bien LIVGREN semble lui avoir dit: "Pousse toi de là que je m'y mette et prends en de la graine" Car STEVE, non seulement n'a pas contribué à l'écriture (c'est quand même lui qui tenait le groupe depuis 15 ans), mais en plus, il ne joue pas de claviers sur l'album (toutes les parties ont été interprétées par LIVGREN, y compris celles d'orgue qui étaient jusqu'à présent dévolues à WALSH !!!). Sans être relégué au rang de figurant, WALSH (aux allures de professeur Nimbus: crane dégarni, cheveux longs, barbichette blanche, petites lunettes et col mao... plus rien à voir avec le look de footballeur hystérique d'il y a 20 ans !) chante merveilleusement , avec une voix légèrement cassée par le temps. Pas sur tous les morceaux toutefois : 2 sont assurés par STEINHARDT (qu'on a rarement senti aussi impliqué) et 1 par GREER. SOMEWHERE TO ELSEWHERE est l'album de KANSAS le plus prog et symphonique depuis la lointaine époque de LEFTOVERTURE (1976). Beaucoup plus encore que POINT OF KNOW RETURN (1977) qui était somme toute assez accessible. Bien évidemment, aucun des titres ne possède la majesté d'un "Song for America" ou l'audace d'un "Magnum opus" (c'est comme si vous demandiez à YES de refaire "Close to the edge" ou ELP "Tarkus"...), mais on s'en rapproche... Sans blague, écoutez les 3 suites fabuleuse "Icarus II", "Myriad" et "Distant vision"... Quel talent ! Du KANSAS grand cru, digne de MASQUE (1975) ou de SONG FOR AMERICA (1975), avec cette complexité qui semble si simple et si limpide: des morceaux à tiroir où les mélodies sont reines, où l'instrumentation symphonique est parfaite. Le violon omniprésent (ROBBIE a rarement autant et aussi bien joué) se marie parfaitement avec le piano inspiré et l'orgue chatoyant de KERRY, avec la rythmique syncopée d'airain de EHART et WILLIAMS. Que penser de l'ouverture instrumentale sensible, de ce passage hard-prog à la DREAM THEATER (BLACK SABBATH, dirait Didier) et de ce final dantesque sur l'émotionnel "Icarus II" (qui fait référence au classique "Icarus" de MASQUE, en hommage au père de LIVGREN) ? A l'accélération orgue/violon très UK et aux vocalises à la YES dans "Myriad" ? Ou à la reprise émouvante du chant par STEINHARDT (à la "Cheyenne anthem"... pour les connaisseurs) et au final à plusieurs voix dans "Distant vision". Rien... on ne pense pas, on ne pense plus: on pleure de joie, d'émotion... A côté de ces 3 poids lourds, il y a encore 7 autres titres, différents mais tout aussi captivants. Ne vous inquiétez pas, aucun martèlement FM à la DRASTIC MEASURES ne vient perturber l'écoute de l'album... On peut séparer les chansons restantes en deux groupes: les ballades symphoniques et les blues-rock. Au registre des ballades, on retrouve WALSH chantant "The coming dawn", un "The wall" bis (LEFTOVERTURE) avec une mélodie remarquable et une partie instrumentale magique. Avec "Look at the time", une fois n'est pas coutume, c'est GREER qui chante cette mélodie faisant écho à "Strawberry field forever" des BEATLES. Le bougre possède un joli timbre de voix façon Mc CARTNEY, HANS FRÖBERG ou NEAL MORSE. Sans doute le titre le plus radiophonique avec un développement instrumental grandiose: très différent de ce que produit habituellement KANSAS (sans doute plus proche de SPOCK'S BEARD ou de FLOWER KINGS d'ailleurs) mais excellent. Quand à "Byzantium", c'est également dans un registre inédit que LIVGREN a trempé sa plume: les cultures orientales (superbes chants grégoriens en intro !). Quand aux blues-rock (toujours empreints de symphonisme: on ne se refait pas...), on constate que dans ce style, plutôt dévolu à WALSH ordinairement, LIVGREN manque un peu de pêche. Attention, ne me faites pas dire ce que je n'est pas dit: c'est quand même du très bon... Quel plaisir de réentendre chanter STEINHARDT sur "Grand fun alley" (avec un passage de basse de HOPE assez angoissant) et "Disappearing skin tight blues" empreints de folklore sudiste où les guitares de WILLIAMS et LIVGREN font mouche. Plus rock encore sont "When the world was young" au riff très zeppelinien et aux clins d'il au passé prestigieux de KANSAS (on y entend des bribes de "Sparks of the tempest" et de "Magnum opus"); et "Not man big", sans doute le morceau le moins bon du disque (parce que trop long : la répétition du refrain énerve un peu) mais qui offre quelques montées d'adrénaline (un solo de violon à toute bringue sur une rythmique heavy). Cette collaboration va t-elle durer ? Le fait que le timide/nerveux WALSH ait été marginalisé (il aurait enregistré ses parties vocales à Atlanta et non dans le studio de KERRY. Faut dire que STEVE était affairé en même temps à l'écriture de son propre album GLOSSALALIA...) et que l'exalté/moraliste LIVGREN ait repris l'ascendant sur le groupe ne va t-il pas déboucher sur un nouveau clash ? Espérons que non car SOMEWHERE TO ELSEWHERE est un album excellent (quoique empli de tristesse et de mélancolie diront les spécialistes, n'est-ce pas Arnaud ?), que dis-je un chef d'oeuvre que j'écoute inlassablement (quitte à mettre un peu de côté le restant de la production progressive): un opus inespéré, voire même miraculeux de la part d'un groupe dont on n'attendait plus grand chose de neuf... Achetez l'album, et par la même occasion les 5 premiers si vous ne les avez pas déjà (Hubert ALLUSSON) |
8 - GERARD : THE RUINS OF A GLASS FORTRESS
Les amateurs de néo-prog' symphonique seront contents, surtout ceux des années 80 : le trio Japonais continue ici sur sa lancée, que l'on dit inspirée de YES, ELP, RAINBOW, UK, DREAM THEATER pour leur petit côté métal parfois (un sous-genre, en quelque sorte), mais surtout du MARILLION première période. (Il n'y a qu'à écouter ne seraient-ce que les soli de claviers pour s'en convaincre. D'ailleurs, GERARD a débuté en 84 si mes infos sont exactes, soit un tout petit nombre d'années après MARILLION). Bon, ça fait peut-être beaucoup pour les influences, d'autant plus qu'il s'agit de la synthèse de plusieurs avis. Je dirai d'une manière générale que les claviers restent omniprésents sur cet album instrumental à plus de 95 %. Vous me direz c'est normal, vu que le leader du groupe n'est autre que le claviériste d'expérience TOSHIO EGAWA (Ex-NOVELA, EARTHSHAKER, SCHEHERAZADE) : un virtuose de plus. La basse, qui a l'heureuse idée de se mettre en avant, offre un jeu d'une technicité et d'une sensibilité incroyables en parfaite adhésion avec une batterie ô combien active elle aussi. Autre fait notable, le remplacement du chanteur Canadien ROBIN SUCHY par le Japonais JEAN-LUC NAKAZI qui intervient de manière occasionnelle sur 2 titres ('The ruins of a glass fortress' Part. 1' : chant emphatique et pompeux du genre 'je suis puissant mais je me retiens' et 'Time paradox' : même genre sauf que la voix est légèrement traitée électroniquement, ce qui rend un petit coté plus moderne), comme le groupe nous y avait précédemment habitué. La rareté de ses interventions rend bien difficile l'appréciation de sa voix, mais ceux d'entre vous qui ont déjà écouté quelques chansons (vous savez, du genre de celles qu'on passe en fond sonore dans les restos Jap !) ne seront pas surpris du léger accent Japonais ni de la manière de chanter propre à cette région du globe. Ne nous écartons cependant pas de l'essentiel pour résumer ce qui concerne l'essentiel : une musique symphonique incisive et subtile, puissante et mâture, virtuose et accrocheuse. Bref : du grand art. Voilà pour les généralités. Maintenant voyons plus en détail ce que cet album nous offre : 7 titres pour 41 minutes, c'est moins que la moyenne me direz-vous. Oui mais attention : c'est du concentré. L'ouverture 'Awake' porte bien son nom : pour un réveil, c'est un sacré réveil ! Et priez pour ne pas être réveillés comme ça tous les jours ! Dans ce morceau, tout le monde s'énerve : la batterie en met partout et il est très difficile de la suivre complètement, la basse n'en parlons même pas, les claviers sont d'une virtuosité à vous écurer avec cependant un refrain digne des soli du MARK KELLY des beaux jours. Le vif du sujet est abordé dès les 2ème et 3ème morceaux puisqu'il s'agit des suites épiques 'The ruins of a glass fortress' : Il s'agit de néo symphonique de très, très haut niveau. Intro au clavecin, flûte, cuivres, violon et nappes de claviers rendent une atmosphère à la fois mélancolique et sombre, contrastée par la richesse des sons délivrés par les keyboards. Deux ou trois couplets chantés avant que la batterie ne se réveille une 2ème fois (le batteur doit marcher à 30 cafés par jour !) pour d'autres soli de Mini-Moog pleins de sensibilité, entrecoupés de variations de rythmes plus techniques tirant vers la fusion ou le psyché. Car derrière l'apparent fouillis rythmique, c'est d'une grande sensibilité, avec beaucoup de finesse, florissant. 'Garden in the air' est certes un peu plus technique avec de nombreux breaks rythmiques.. 'Time paradox' sonne un peu plus moderne avant que 'Labyrinth' renoue avec des soli de synthés entraînants que l'on peut aisément garder en mémoire. Ambiance 'film d'action'. Le dernier titre 'The edge of darkness' est lui aussi un autre épique de plus de dix minutes, la suite de 'The ruins of a glass fortress'. Ouverture tourmentée mais vite apaisée par un assez long solo violon d'anthologie, emmenant la musique vers plus de calme mais empreinte d'un je ne sais quoi de mystérieux, de la peur (ambiance 'Grendel'). Rassurez-vous ça ne dure pas trop longtemps : le tourment se re-déclare sans pouvoir y échapper cette fois-ci, du genre 'musique maudite qui fait sombrer dans la folie celui qui l'écoute'. Cette ambiance est donnée par une centaine de synthés différents (bon, j'exagère un peu mais c'est l'impression !) et une basse en fond mais ô combien déterminante par son jeu technique omniprésent. L'album n'est pas si tôt terminé fini qu'on ressent les effets d'une baffe ! Qu'est-ce qu'on s'est pris ! Oui, comme je l'évoquais plus haut, c'est court mais concentré. Je n'aimerais pas voir les partitions de l'album car vu le nombre de notes qu'il doit y avoir, ça doit être aussi épais que mon 'Petit Robert'. Ames sensibles s'abstenir de se prendre un tel choc ! Pour conclure, sachez que ceci n'est pas SEULEMENT un bon album : c'est aussi LE meilleur de GERARD. Les connaisseurs de Prog' Nippon commettraient un erreur de ne pas l'acheter ! Pour ceux d'entre vous qui désirent se faire une idée de ce que cela peut bien représenter, sachez que cet album est un très bon choix pour commencer. Une référence dans les trop rares productions de ces lointaines contrées. Ca vaut quand même le coup, non ? (Jean-Luc MORCELLO) |
9 - AYREON : UNIVERSAL MIGRATOR (THE DREAM SEQUENCER - FLIGHT OF THE MIGRATOR)
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En
3 concept-albums de grande classe, ARJEN LUCASSEN s'est fait un nom :
AYREON ! Aujourd'hui, on attend fébrilement chacune de ses nouvelles
productions avec la même fébrilité que pour un nouveau
YES ou FLOWER KINGS. Cette fois-ci, ses supporters ont de quoi être
comblés, car après le coup du double-album concept, AYREON
invente la formule des 2 simples simultanés : un concept "
progressif " d'un côté et son reflet " métal
symphonique " de l'autre, révélateurs de la double
personnalité de LUCASSEN (rappelons qu'il fut durant les années
80 le guitariste de 2 groupes hollandais hard-rock réputés
:VENGEANCE et BODINE
). Il faut reconnaître en LUCASSEN un
génie du progressif universel ; cependant, d'aucuns trouveront
ses uvres un peu trop " tape-à-l'il ", sans
réelle sensibilité progressive (elles produisent un gros
effet, mais ne sont pas appelées à durer sur le long-terme).
J'accepte partiellement cette vision et reconnais que la démarche
d'AYREON, calculée et artificielle, est souvent basée sur
des clichés (science fiction, gros son, chanteurs et instrumentistes
invités prestigieux
). Une démarche radicalement opposée
à celle de ROINE STOLT qui nous expliquait récemment que
c'est la musique qui importe, pas ses interprètes. Pour lui, la
promotion du prog-rock passe obligatoirement par la scène. Tourner,
AYREON y est opposé : perfectionniste, il considère le travail
en studio avant tout. Les logiques opposées de STOLT et de LUCASSEN
se valent. A l'arrivée, les 2 approches concourent au même
résultat : la valorisation d'une musique qui a besoin d'ambition
artistique pour être de nouveau considérée. |
10 - CAFEINE : NOUVEAUX MONDES
Exceptionnellement, je vais démarrer cette chronique par ma conclusion: CAFEINE vient de réaliser l' un des meilleurs albums de l'année 2000, ni plus ni moins !!! Suis-je clair? Non? Bon, alors dans ce cas, reprenons tout depuis le début. Si LA CITADELLE, sorti(e) en 1994, souffrait d'un manque d'expérience et avait surtout comme point faible le chant, le moins que l'on puisse dire c'est que CAFEINE a su remédier au problème et ce, de manière magistrale en faisant intervenir nombres d'invités au poste de chanteur. Car pour ces NOUVEAUX MONDES, CHRISTIAN DECAMP est de l'aventure ainsi que JEAN BAPTISTE FERRACCI et SONIA NEDELEC de MINIMUM VITAL, tout comme PIERRE YVES THEURILLAT de feu GALAAD et j'en passe. NOUVEAUX MONDES se présente comme un concept dont le thème principal tourne autour des conquêtes, ceci au sens large du terme et sous toutes ses formes. Dès les premières secondes, on a le sentiment d'être confronté à un monument. "Hubble" l'instrumental qui ouvre dévoile des influences qui empruntent aussi bien au jazz rock qu'aux valeurs progressives pour, en final, créer une musique totalement intemporelle! Un style propre qui atteint une dimension humaine extraordinaire, l'ensemble est chaleureux et vivant. Et ce d'autant plus que les 9 compositions qui constituent ce NOUVEAUX MONDES nous sont servies sur un plateau par des musiciens dont la maîtrise est époustouflante. REGIS BRAVI (batteur prodigieux), PATRICK JOBARD (guitariste magistrale) et CHRISTOPHE HOUSSIN (claviériste aux doigts d'or) sont les bâtisseurs d'une musique qui invite au voyage, au rêve. "L'or des Indes", "Voler en éclat", "Don Juan" sont autant de titres dont les arrangements, les ponts instrumentaux, les envolées, les mélodies ont été soignés, travaillés, peaufinés, pour un résultat fluide, sans heurt. Il est rare de trouver tant de qualités réunies sur un album, c'est du grand art! Quant au morceau "Cathédrale", il s'impose incontestablement comme le sommet de cet album. 10' de bonheur extrême. C'est beau tout simplement. Je tiens à saluer également l'excellent travail de production. Non décidément, j'ai beau chercher je ne trouve pas une seule ombre au tableau. Il n'y a rien, absolument rien à jeter, tous les titres sont excellents, c'est l'album de la maturité, l'album parfait, l'album qui vous transcende. Alors, plutôt que de me perdre dans des méandres de superlatifs, je ne peux que vous engager à vous jeter sur cet album sans même vous poser de questions. Parce qu'un album d'un tel niveau venant d'un groupe français cela ne se rencontre pas à tous les coins de rue. Bravo messieurs, après MINIMUM VITAL (et le regretté groupe suisse GALAAD) vous êtes ce que j'ai entendu de mieux en France, voilà je tenais à vous le dire. Je vous dois un grand Merci! (Denis PERROT) |